lundi 15 décembre 2008

deuxième thème: Partir... par ML

Le syndrome de Monsieur Seguin

J’ai envie de partir…
C’était juste marmonné, presque chuchoté. Il semblait n’avoir rien entendu ou, peut-être, n’avait pas voulu entendre.
Je veux partir.
Cette fois-ci, la voix était plus audible et le ton plus sec.
Je pars.
Il n y avait plus du doute.
Elle était assise, à même le sol, la tête baissée et en léger déséquilibre, caressant les joints rêches et irréguliers du carrelage avec son index, ou plutôt avec son ongle coupé à raz, comme si elle s’amusait à le limer. Lui, se tenait debout, à moins d’un mètre d’elle. De dos, son allure paraissait imposante et dominatrice. De face, ses bras croisés, son visage aux traits tirés et ses yeux incrédules et interrogateurs, trahissaient un chagrin profond et indescriptible. Son regard était posé lourdement sur elle, presque fixé à elle. Comme à chaque fois quelle était gênée, mal à l’aise ou indécise, elle malmenait bizarrement sa chevelure brune et volumineuse. Depuis qu’il l’avait rencontrée, presque dix ans auparavant, le rituel était toujours le même. Immuable. Elle commençait d’abord par masser délicatement le haut de son front de ses doigts longs et fins. Puis, elle remontait vers ses cheveux, lentement, sans aucune précipitation. On dirait qu’elle ne voulait pas les effrayer, de peur qu’ils s’échappent. Dès qu’elle les avait bien en main, ou du moins, ceux qui l’intéressent, elle entreprenait un long processus qui pouvait durer parfois plusieurs minutes : elle les cajolait tendrement, les soulevait et les rabaissait, ensuite, elle les triait un à un, les tâtait, les soupesait, peut-être, pour les jauger, pour, enfin, en choisir un, sans doute, sur des critères préétablis qu’elle était la seule à connaître. Et, une fois le cheveu sélectionné, elle l’isolait méticuleusement comme s’il elle voulait l’amadouer, avançait ses doigts délicatement jusqu’à la racine du cheveu élu, et là, d’un coup sec, elle l’arrachait nerveusement. Fin du processus. Comme toutes les fois, elle ne laissait apparaître ni douleur, ni souffrance, ni plaisir, ni jouissance. Rien. Le geste gratuit, puéril, enfantin, inutile. Infantile.
Il avait tenté à plusieurs éprises, au tout début de leur rencontre, de la dissuader de massacrer ainsi ses cheveux si beaux et si soyeux, mais, en vain. Elle s’arrêtait un court instant, pour lui faire plaisir, puis reprenait son manège destructeur, ravageur, macabre, jusqu’au bout. Jusqu’à la fin. Jusqu’à ce que mort du cheveu s’en suive.
Je pars une fois pour toutes.
Elle avait encore le « cadavre » de son cheveu tout sanguinolent dans la main. Elle le regardait, toujours tête baissée, comme une victoire dérisoire, comme un butin de guerre stupide, comme un gibier d’élevage facile, que le plus faible, le plus lâche, pouvait tuer les yeux fermés.
Elle ferma les yeux. Elle n’osait pas le regarder en face. Elle n’osait pas lever la tête.
Lui, par contre, continuait de la fixer, lourdement, comme s’il voulait, avec son simple regard, l’immobiliser définitivement. Lui même était incapable de bouger, incapable d’agir, incapable de l’interroger, incapable de la supplier, incapable de parler.
Il ne comprenait pas. Ils étaient heureux. Elle était heureuse.
Elle paraissait heureuse.
Non ! Ne pars pas ! Tu n’as pas le droit de partir. Tu es à moi. Rien qu’à moi.
Si tu pars, je te tue.
Tu es moi.
Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il était devenu peut-être muet. Ou, peut-être fou. D’ailleurs, il l’avait toujours aimé ecomme un fou.
Je pars là-haut. Adieu.
Ah ! C’est un rêve. Non, un cauchemar ! Alors, il ferma à son tour les yeux, ne pensant plus à rien, ne pensant plus à personne. Oubliant tout, oubliant tout le monde.
Il n y avait plus qu’elle. Et lui. Le monde n’existait plus. Le monde sans elle n’existe pas. Son monde à lui, c’était elle. Avec lui.
Non, tu ne partiras pas !
Il ouvrit les yeux.
Il n y avait que lui.
Elle était déjà partie.
Loin.
Là-haut.

1 commentaire:

Brilliant Brain a dit…

t'as bien fait de m'attendre chérie je suis de retour!