mercredi 29 octobre 2008

premier thème: attente dans un bar... par ml

Happy-hour

- Allo ? C’est moi…
- ….
- il y a quelqu’un ?
- … 0 ui, oui, je suis là... Qui est à l’appareil, sil vous plait ?
Il avait posé la question juste pour se donner un peu de courage. Quelle surprise ! Même si le numéro affiché sur son portable ne lui disait rien, il l’avait reconnue depuis le début. C’était « elle ». « Elle » était la seule à le lui lancer à chaque fois au téléphone ce « Allo ? c ‘est moi… » unique. Il n’avait pas entendu cette voix, « sa » voix, depuis … au fait, depuis quand ? 20 ans ? 25 ans ? Il ne savait vraiment plus. Ça faisait longtemps qu’il ne comptait plus. Mais, il n’avait aucun doute : c’était « elle ». « Elle », c’était son premier amour. Son premier mais, aussi, son dernier amour.
- Allo ? Tu es toujours là ? Tu ne m’as pas reconnue ?
- … Non… enfin, si. Bien sûr, je sais que c’est toi …ça fait un bail…
- …Oui, je sais. Mais j’avais envie de te parler. J’ai envie de te voir… te revoir… C’est possible ?
- …. Bien sûr, bien sûr… mais, pas maintenant… je suis au travail…
Il avait parlé d’une manière maladroite, irrégulière, saccadée, un peu comme ce jeune homme timide qu’il avait été au temps où il l’avait connue, il y a… 20, 25 ans …
- Mais, je ne t‘ai pas dit : tout de suite. Tu sais, je travaille moi aussi. On pourait se retrouver, disons vers 19h30, ça te va ?
- Où ?
Il avait posé la question si vite qu’il en était le premier surpris. En fait, il avait attendu cet appel durant de nombreuses années, puis, désespéré, il avait fini par renoncer. Et voilà qu’aujourd’hui, non seulement elle l’avait appelé, mais, en plus, elle lui proposait un rendez-vous ! Une rencontre ! Ce moment, il l’avait envisagé, imaginé, rêvé, des centaines de fois. Mais, en même temps, il le redoutait, le craignait, il en tremblait presque à chaque fois que l’idée effleurait son esprit.
- Au Bar « L’excuse ». Tu sais où c’est ?
- Oui, oui, bien sûr…
- Alors, donc, on dit à tout à l’heure !
- C’est ça, oui, à tout à l’heure.
C ‘était elle qui avait raccroché la première. Comme d’habitude, comme avant. Lui n’aurait jamais osé. Au temps où ils étaient ensemble, c’était toujours elle qui prenait toutes les initiatives, toutes les décisions, y compris celles qui le concernait personnellement.


Bar « L’excuse » ! D’abord, n’étant pas, ou plutôt, n’étant plus, porté sur la chose, il ne savait pas où se trouvait ce bar. Il avait dit oui juste pour ne pas passer à ses yeux pour un ignorant. Au fond, il était autant surpris par son appel qu’il était intrigué par le lieu de rendez-vous qu’elle lui avait proposé. Un bar ?!? Elle qui n’aimait ni boire, ni même voir les gens boire, donner un rendez-vous dans un bar ! Comme c’est étrange ! Et comme tout change ! Il n’avait jamais pu oublier ce jour maudit où tout avait chaviré. Elle avait reçu son diplôme de fin d’études et elle en était très fière et très heureuse. Pour fêter l’événement, il avait réservé une des salles du campus et avait invité tous leurs amis communs. Alors que la fête bâtait son plein et que tout le monde, plus ou moins éméché, à commencer par lui, chantait et dansait, il avait pris la bouteille de champagne qu’il avait spécialement achetée à cette occasion, et s’était dirigée vers elle en titubant dangereusement. Arrivée à son niveau, et sous son regard interrogateur et réprobateur, il avait rempli une coupe à raz bord, et lui avait tendrement offerte avec un large sourire. Instinctivement, elle lui avait arraché la coupe des mains et l‘avait lancée violemment par terre. Elle se fracassa en mille morceaux. Aussitôt après, elle avait prudemment enjambé les débris de verre et avait quitté la salle en claquant la porte. Il avait beaucoup regretté son geste qu’il avait reconnu à la fois stupide, déplacé et maladroit. Le soir même, il avait essayé de lui présenter ses excuses, mais en vain. Ce n’est que plusieurs jours plus tard qu’elle lui avait pardonné, après qu’il se soit engagé, sur son honneur, de ne plus boire. Après leur réconciliation, elle lui avait longuement expliqué les raisons réelles de son attitude lors de cette soirée. C’était à cause de son père. Suite à un grave accident de la circulation qu’il l’avait rendu handicapé à vie, il était devenu un grand alcoolique. Il avait beaucoup souffert et avait fait beaucoup souffrir toute sa famille. Il est mort quelques années plus tard d’une cirrhose aggravée. Elle avait à peine 15 ans. Elle l’aimait beaucoup et ne s’était jamais remise de sa mort. Tout en se souvenant de tout cela, il n’arrivait pas à expliquer ni ce surprenant appel, ni, encore moins, cet étrange rendez-vous dans ce bar. Pourquoi pas un grand café, ou, mieux, un salon d’un palace ? Elle ne doit quand même pas manquer de moyens ! Il se rappelle bien que, deux ou trois mois après leur séparation « forcée », elle avait épousé un grand avocat d’affaires qui était, disait-on, riche comme Crésus, mais, également, vieux comme Noé et moche comme le bossu de Notre Dame. Oui, c’est vrai, il n’avait jamais aimé son mari, cet intrus qui lui avait pris sa si tendre bien-aimée et lui avait définitivement gâché sa vie. Mais, au fond, ce qu’il n’avait jamais accepté, c’était la rupture unilatérale. Et voilà qu’aujourd’hui, 20 ans plus tard, - ou 25 ans, quelle importance ? - elle l’appelle et lui donne rendez-vous, et en plus, dans un bar ! Elle ne savait sûrement pas, ou devrait s’en douter un peu, que non seulement il était marié, qu’il avait 3 enfants dont un presque fiancé, mais, surtout, qu’il avait, depuis très longtemps, définitivement arrêté de boire. En fait, juste après leur séparation, il avait connu une période d’alcoolisme poussée à l’extrême et qui avait débouché sur une dépression sérieuse qui avait failli lui être fatale. Dès qu’il avait réussi, très difficilement d’ailleurs, à « s’en sortir », il avait décidé de rentrer … dans les ordres. En vérité, il avait pris cette décision sur les conseils insistants de voisins compatissants ou manipulateurs, ou, peut-être, les deux à la fois. Oui, il est devenu un musulman pratiquant, très pratiquant, trop pratiquant même, au point que tous ses amis l’avaient aussitôt rejeté après l’avoir accusé d’être un « islamiste ». Il ne s’en était pas offusqué, bien au contraire. Il était heureux, il était aux anges. Ou, comme il disait de temps en temps à ses nouveaux compagnons en plaisantant, il se sentait « comme au paradis ». Mais, aujourd’hui, après cet appel inattendu de celle qu’il avait aimée à en mourir et qu’il n’avait pas revue depuis si longtemps, et après cette proposition de rencontre qu’il avait tant espérée, il ne savait vraiment pas quoi faire…
La revoir, il en avait très envie, et il le reconnaît, mais, dans un bar…
Pendant ce temps, elle, une cigarette aux lèvres et la mine défaite derrière un maquillage exagéré, était déjà au comptoir et l’attendait. Elle était à son 5è whisky, mais, il faut le dire, un peu malgré elle. En effet, à chaque fois qu’elle commandait un verre, on lui en servait deux. Et quand elle avait demandé une explication, on lui avait répondu que ce soir-là, comme chaque soir, à cette heure-ci, au Bar « L’excuse », c’est le Happy-hour.
Happy-hour ! « L’heure heureuse » ! avait-elle traduit en silence, un mystérieux sourire en coin.
Pour la première fois, depuis de longues années, elle s’était remise à espérer…
Pendant ce temps, lui marchait tout seul dans la nuit, perdu dans ses songes et ses interrogations.
« Mon Dieu, dis-moi ce que je dois faire », marmonnait-il pour la nième fois en égrenant le chapelet d’ambre qu’il ne le quittait jamais.

Mohamed Laroussi
Casablanca le 20 Octobre 2008

1 commentaire:

Hamil al amani a dit…

Cher ML
Un soir d'hiver glacial, dans un restaurant, à Bruxelles, t'en souvient-il, nous mangions, mais pas en silence? J'avais commandé des moules frites et le serveur était un vieux Casablancais, qui connaissait Abdelouhab Doukkali. Je t'avais raconté une histoire d'amour avec une femme, connue fin 71, perdue en 72, retrouvée et reperdue en 81, retrouvée en 2004, et définitivement reperdue en 2006, soit une histoire de près de 35 ans dans le tourbillon de la vie. Ma conclusion était que même si on se retrouve aujourd'hui on ne peut plus rond dans un bar pour un improbable rendez-vous, un bel amour porté à une fille de 19 ans ne tient plus la route, si tout à coup, elle se met à en avoir 54. 4x4= 16, tout à fait d'accord, mais pour une femme, même si elle se prétend être "tout terrain", 16x4, quand on y pense, ça fait tout de même 64. C'est triste à dire, mais rien n'est éternel et surtout pas la jeunesse, même si comme moi, on se refuse obstinément à l'admettre.